A priori, nous sommes plus à l'aise avec les mots qu'avec les images.
notre formation, nous incite à prendre les mots au sérieux et à en
chercher le sens latent, le sens caché, le sens intime, le sens collectif,
le sens donné par les hommes, les femmes, les enfants... mais aussi
les contre sens, les malentendus, les lapsus... tous les sens possibles,
les écarts, les ruses des mots.à apprendre l'art de l'interprétation et en clinique transculturelle,
de la traduction, des nuances, des connotations, des implicites des
mots aussi. j'ai mis beaucoup de temps pour apprendre la force et
la subtilité des mots énoncés, des mots incarnés, des mots cherchés,
des mots rêvés, des mots pensés : une formation en médecine et en
psychiatrie puis en psychiatrie du bébé, de l'enfant et de l'adolescent
qui m'a initiée à la genèse du langage, une formation en philosophie
qui m'a permis de m'approprier les mots des anciens, ceux des autres
qui nourrissent les nôtres qu'ils soient prononcés ou écrits, une
formation en anthropologie qui m'a fait découvrir les mots collectifs,
les représentations partagées et inscrites dans des rituels, des actes, du
quotidien et une psychanalyse et une formation en psychanalyse qui en tout a pris, une vingtaine d'années, pour m'initier à l'herméneutique,
à l'infiltration des fantasmes et des désirs dans les mots et les choses et
enfin, et en même temps, une formation complémentariste en clinique
transculturelle ou ethnopsychanalytique qui m'a obligée à penser ces
mots au pluriel, à me décentrer et à analyser les effets de ces mots dans
leurs composantes non seulement intime mais aussi culturelle, sur
moi. quel chemin parcouru pour un jour me rendre compte qu'il 'y
avait pas que les mots dans la vie mais que les images aussi méritaient
notre attention, notre souci. que les images aussi exigeaient de nous,
comme le dit barthes (1957), une sémiologie, un art de l'interprétation,
une traduction. et que comme les objets, autre monde particulier,
ces images 'étaient pas équivalentes aux mots, qu'elles avaient leur
propre langage et leurs propres nécessités. je dois dire que cette prise
de conscience a été favorisée, comme toujours, par des rencontres
de personnes qui portaient cette passion des images et que je me
suis laissée affecter par elles. deux cinéastes ont été très importantes
pour moi, d'abord laurence petit-jouvet qui m'a convaincue de faire
un film sur la consultation transculturelle pour montrer l'univers des
patients migrants et de leurs enfants et la nécessité de les écouter et de
les aimer tels qu'ils sont avec leurs modalités d'êtreet défaire. ainsi est
né « j'ai rêvé d'une grande étendue d'eau1 ». il y avait aussi celle qui
a fait les images de ce film et qui est photographe et cinéaste, nurith
aviv qui, elle aussi m'a beaucoup appris sur ce monde des images
dans ce film et dans la suite de son oeuvre2. alors que j'étais réticente,
au départ, à laisser une cinéaste entrer dans le monde sacré d'une
consultation où se déroule le plus intime de la vie de nos patients,
où se nouent et se dénouent des intrigues et des conflits profonds et
parfois, transgénérationnels, laurence petit jouvet m'a convaincue de
la nécessité de le faire pour se battre pas seulement avec des mots mais
aussi des images. nous l'avons fait, j'ai consulté pendant plusieurs mois
sous le regard de la cinéaste, de la photographe et d'une preneuse de
sons. ensuite, laurence petit-jouvet a choisi, quatre de ces situations
pour les montrer, telles qu'elles les avaient vues. et je dois dire que le
résultat, sa création, son regard sur le réel de notre pratique, images de la rencontre entre les patients, le groupe de consultation et moi,
m'apparaît aujourd'hui plus réel que la réalité que j'ai vécue. j'ai
regardé ce film des centaines de fois, au cours de projections et de
débats dans des cinémas en france, au luxembourg, en belgique, en
suisse... puis dans des congrès nationaux et internationaux aux etats
unis, en argentine, au chili... dans des rencontres avec des collègues
comme en espagne, en italie, de très nombreuses fois à milan ou
bologne par exemple, mais aussi à lisbonne... parmi ces rencontres,
celle de l'institut supérieur des cadres de l'enfance à tunis suite à
l'invitation de son directeur le pr hmida maklouf et dans le cadre d'un
cours de mastère assuré par khouloud ben mohamed cherbi. cette
dernière ayant déjà préparé le terrain en sensibilisant ses étudiants à
l'image en lien avec la psychanalyse. une initiation qui est, en outre,
passée par la projection de ce film que nous avons discuté. a chaque
vision, je vois des moments que je ne connaissais pas, je suis touchée
et émue par un regard ou une attitude... a chaque fois, je découvre
quelque chose de nouveau qui soutient mon attention et m'accroche
à nouveau au film. ce film en effet, après une vie au cinéma et des
prix, a été traduit en cinq autres langues, l'anglais, l'espagnol, l'italien,
le hollandais et le portugais et est sorti en dvd en 2003 ce qui a
permis une diffusion plus large et une utilisation de ces images pour
former à la clinique transculturelle et d'une manière plus générale à la
clinique. a quand d'ailleurs une version de ce film en arabe ? ce film
m'a appris des choses que je ne savais pas sur ma propre clinique.
mais à y regarder de plus près, nombre de familles reçues en
consultation ont depuis longtemps laissé à l'intérieur de moi des
images, des fragments, parfois des scories qui me restent à l'intérieur
comme des étincelles, des fulgurances, des étoiles qui me reviennent
parfois à l'occasion d'une émotion ou d'une rencontre thérapeutique
avec une autre famille, comme si les familles nous apprenaient à
soigner d'autres familles que nous ne connaissions pas encore...