L’art proustien participe d’une certaine aspiration qui cible l’impression fugace dont la reconstitution demeure un idéal inaccessible, si le sujet n’est pas en mesure de dépasser le temps chronologique, s’il n’est pas aussi à même de créer la métaphore fusionnelle, si, en un mot, n’a pas de talent pluriel qui associe la musique et la peinture à la création verbale. habituellement, on appréhende l’utopie dans une optique projective. l’idéal proustien demeure foncièrement tributaire du passé. ce cours narratif qui remonte au passé lointain est paradoxal, à partir du moment où le temps retrouvé par cet effort considérable de la mémoire volontaire est justement prospectif. c’est une promesse d’avenir, ou si l’on s’en tient aux termes de saint-augustin, c’est un présent permanent qui se déploie sur trois dimensions ; présent du passé, présent du présent et présent du futur<381. le temps proustien participe d’une certaine phénoménologie de l’esprit, non au sens hégélien, mais au sens augustinien du terme : « c’est en toi, mon esprit, que je mesure les temps »38 (39). c’est à partir de cette optique qui dépasse la chronologie de l’éphémère que l’idéal s’avère possible.
Préface en faisant de l’utopie le thème de ce colloque, nous voulions surtout la mettre à l'épreuve de quelques thématiques contemporaines et donner ainsi un peu de grain à moudre à tous ceux qui se cherchent des alternatives, dans un monde confronté à des idéologies rétrogrades. le projet du colloque sur « l’utopie au présent » offre de dépasser les reproches traditionnellement adressés à l’utopie. une immense littérature multidisciplinaire donne la mesure de la plurivocité du concept. certaines interventions s’en font l’écho. les deux interventions qui ont ouvert les deux journées du colloques ont tenté de contextualiser « les apports actuels des utopies du xix è siècle » et de fournir les arguments qui voient dans l’utopie une « méthode intempestive et imaginaire de construction du présent ». des questions de société, comme l’immigration clandestine, la démocratie et « la réparation» médicale des corps, universellement débattues, sont passées au crible. la création artistique, ses représentations et ses enjeux ont été largement évoqués. tout reste à faire. l’utopie n’a d’acquis que la démarche qu’elle adopte, le mouvement qu’elle engage. le principe est plus de se mouvoir que d’atterrir. la pensée utopique et forte de sa « conscience anticipant » met l’accent sur les pratiques effectives de transformation du réel, sans être tenue pour cela de désavouer systématiquement les parcours qui détournent des contradictions du présent plutôt que de les dépasser. elle n’est pas refuge hors du monde. sa problématique se place, en vérité, dans le cadre d’une appréhension de l’histoire, ouverte à la créativité individuelle et collective. l’enjeu est que cette problématique soit posée dans toute sa puissance subversive et que les différentes propositions soient audibles. il s’agit bien d’inscrire la pensée de l’autre social dans la matérialité du monde, comme le proclament les écrits d’ernst bloch. lorsque l’utopie se dégrade, le présent que l’on pensait congédier fait retour et finit par produire de l’adhésion et du consentement. elle ne peut être qu’un concept polémique, une boussole à garder à portée de main. elle est fondamentalement immanente. elle veut « advenir » car elle ne peut en aucun cas sortir de son présent, elle « survient », se « produit » au présent; elle est intempestive. c’est le sens profond que nous avons voulu donner à ce colloque. une utopie qui vient habiter la terre, surmonter la fatalité et prendre possession du présent dans toute sa plus haute vigueur…
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