Espaces méditerranéens (xixe-xxe siècles),administration, représentations,mobilité
C’est pour moi un grand honneur que d’évoquer la mémoire d’un universitaire dont la personnalité et l’oeuvre ont tenu une grande place dans le monde de la recherche sur l’histoire des sociétés méditerranéennes à l’époque contemporaine. j’avais fait la connaissance d’abdesslem ben hamida lors de mes années d’enseignement à nice ; j’avais eu par la suite l’occasion de le retrouver à tunis, puis à paris, chaque fois avec le même plaisir de l’échange intellectuel et du partage d’un moment d’amitié. je voudrais évoquer quelque chose de cette atmosphère dans les lignes qui suivent. que dire de sa carrière ? elle peut paraître parfaitement rectiligne, marquée par les étapes qui l’ont mené depuis les bancs de l’école, puis du lycée de sfax, jusqu’à la faculté de sciences humaines et sociales de tunis, où il fut étudiant, avant de parcourir tous les grades, d’assistant à professeur ; c’est en cette qualité qu’il enseigna de 2000 à 2014. seuls ceux qui ont suivi un itinéraire comparable savent combien ces vies simples en apparence réclament de persévérance et d’efforts. s’il fut d’abord un enseignant apprécié, il accepta aussi d’assumer des responsabilités administratives variées, notamment la direction de l’institut supérieur d’histoire du mouvement national (2008-2011). le nombre d’élèves, puis d’étudiants qui suivirent ses enseignements, qu’ils l’aient entendu traiter de l’histoire du monde arabe contemporain, des enjeux pétroliers, de la géopolitique de la méditerranée, ou du fascisme italien, est considérable. beaucoup, comme on pouvait s’y attendre, sont devenus enseignants, et conservent de ses cours l’image qui s’attache toujours à un professeur consciencieux et savant autant que souriant. cette carrière fut menée à la fois à l’université de tunis et à celle de nice. à tunis, l’étudiant de sfax avait de bonne heure attiré l’estime d’universitaires réputés, tels ses aînés béchir tlili et khalifa chater. il sut développer un réseau d’amitié parmi les chercheurs de son âge, notamment hédi timoumi, hassen el annabi et fayçal el ghoul, tous appelés à jouer un rôle important ; une autre amitié notable fut celle de son ancien camarade de classe moncef fakhfakh, directeur des archives nationales et militant syndicaliste. à l’université de nice, le fondateur et directeur du cmmc, le regretté professeur andré nouschi, qui avait enseigné à tunis au début des années 60, était admirablement bien placé pour assurer la transition du jeune chercheur entre les deux rives de la méditerranée. ben hamida rencontra à nice une série de chercheurs de sa génération, en particulier ralph schor et robert escallier. après avoir soutenu sa thèse d’état sous la direction du premier, ben hamida devait participer à leurs côtés à plusieurs soutenances, et aux séminaires annuels du centre. sa collaboration aux cahiers de la méditerranée de l’université de nice devait être comparable à celle qu’il donnait aux cahiers de tunisie de la faculté de tunis. en matière de recherche, le nom de ben hamida restera indissolublement lié à l’histoire de ce syndicalisme tunisien qui a marqué d’une façon si spéciale la vie politique de son pays. les intérêts de ben hamida pour le syndicalisme ne résultaient pas de ces choix purement académiques par lesquels l’universitaire tel que l’a représenté pierre bourdieu décide de choisir une position fructueuse dans le champ de la recherche. c’était à la fois en raison de ses attaches familiales comme fils de syndicaliste, puis comme gendre du grand leader de l’ugtt habib achour, mais aussi au nom de ses propres convictions, qu’il s’était engagé dans ses recherches, et il ne renonça jamais à participer personnellement à l’action syndicale, avec une empreinte de gauche publique et assumée. il n’hésita pas non plus à s’engager personnellement pour la défense de la cause palestinienne. il entra dans cette histoire avec son mémoire de maîtrise, « les débuts du syndicalisme tunisien autonome à sfax de 1944 jusqu’aux évènements d’août 1947 », et la prolongea par sa thèse de 3e cycle, « le syndicalisme tunisien, de la deuxième guerre mondiale à l’autonomie interne », puis dans sa thèse d’état, « capitalisme et syndicalisme en tunisie de 1924 à 1956 », soutenue en mars 2000, et couronnant près de trente ans de recherche. ces recherches étaient menées dans un esprit qui trouvait son inspiration dans les travaux que fernand braudel avait initiés dès 1967 dans la première version de civilisation matérielle et capitalisme, et des recherches, proprement tunisiennes, menées notamment par béchir tlili dans son livre nationalismes, socialisme et syndicalisme dans le maghreb des années 1919-1934, publiée en 1984. le programme, ambitieux, se trouvait ainsi refléter à la fois les ambitions scientifiques initiées par l’ecole des annales, et les ambitions économiques que s’attachaient alors à définir nombre d’intellectuels du tiers-monde, soucieux de définir des stratégies de développement appuyées sur les ressources humaines de leurs nations nouvellement indépendantes. laissons-le présenter sa démarche : « l'étude des caractéristiques du capitalisme colonial susceptibles d'avoir des répercussions sur le syndicalisme tunisien est suivie par la présentation des principales péripéties de ce dernier, en relation avec les mutations sociales qu'il a engendrées. les représentations du capitalisme et les formes de lutte qu'elles inspirent aux syndicalistes, pour aboutir aux programmes censés permettre de combattre ce système et valoriser la force de travail, constituent également des préoccupations majeures dans cette recherche ». ce travail fut parachevé en 2013 par la grande biographie que ben hamida consacra à habib achour (1913-1999), le timonier de l’ugtt. sans renoncer à ce vaste champ de recherche, ben hamida avait porté son intérêt à d’autres domaines, et notamment à l’histoire militaire et à la géopolitique. membre de la commission tunisienne d’histoire militaire dès sa fondation en 2003, il en fut le secrétaire général de 2004 à 2012, et fut choisi en 2010 pour siéger au bureau exécutif de la commission internationale. il dirigea en cette qualité plusieurs rencontres et publications, amorce de travaux plus importants qu’il ne lui a pas été malheureusement donné de mener à bien. il est permis de voir dans ces nouvelles orientations l’effet de la conscience que la tunisie, par suite de sa position exceptionnelle, se trouvait exposée aux conséquences de bouleversements dont les révoltes arabes de 2011 allaient démontrer la portée. il devait prononcer sa dernière conférence sur « l’implantation des valeurs citoyennes au sein de l’armée tunisienne » lors d’un colloque national tenu en octobre 2016 sur « l’armée et la culture de la citoyenneté ». la multiplicité des influences intellectuelles dont il avait su faire son profit, autant que ses convictions humanistes, avait fait de ben hamida un historien au sens le plus vrai. sa préoccupation constante de recherche de la vérité, au-delà des polémiques trop fréquentes à propos du passé proche du maghreb, lui avait fait inscrire, dans la préface de sa thèse, une mise en garde contre « deux écritures de l’histoire : l’une marquée par l’européocentrisme ; l’autre, celle du colonisé, souvent entachée par le besoin d’en faire un instrument d’exaltation nationale. si cette dernière a tendance à faire de l’impérialisme le seul responsable de tous les maux, nombreuses sont de l’autre côté les analyses visant à déculpabiliser le colonisateur, en cherchant à minimiser, voire à nier le profit tiré des colonies ». cet avertissement reste plus que jamais d’actualité.
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