A qui a pu l'approcher de son vivant, marguerite yourcenar a fait invariablement grande impression. nul 'est demeuré insensible à sa prestance ni à sa hauteur, si prononcées l'une et l'autre qu'elles en étaient troublantes, voire intimidantes pour un quelconque interlocuteur. s'agirait-il d'une personne fière et orgueilleuse jusqu'à la démesure ? et si la réponse devait être affirmative, pour quelle raison le serait-elle? lors de la visite de bernard pivot à l'île des monts-déserts1 en septembre 1979, nous la voyons se prêter au jeu de l'entretien, un rien condescendante : le sourire quelque peu contraint, le geste mesuré, le discours sentencieux, pour tout dire, l'allure fière, faisant preuve d'assurance, de contentement de soi et de sagesse à la fois2. jacques chancel venu l'interviewer, lui aussi, à son domicile, a avoué avoir eu ce sentiment causé principalement par sa voix : «de ce premier contact avec marguerite yourcenar, je retiens surtout la voix : chantante et distinguée, parfaitement articulée. si parfaitement qu'au premier abord, d'aucuns trouveraient des inflexions forcées, quasi mondaines, à la musique des mots»3. celle qu'il appelle : «la dame de mont-désert»4 se présente à lui sous les traits d’une femme altière et présomptueuse, jugée à la limite de l'indifférence et de la froideur. on se souviendra davantage encore du témoignage de jean eeckhout, à lui seul exceptionnellement édifiant quant à cette fierté apparente. en tant que président du cercle royal artistique et littéraire et des amitiés françaises de gand, celui-ci a raconté comment il reçut marguerite yourcenar invitée à venir en belgique, pour donner une conférence, à la suite de la parution de mémoires d'hadrien. il a rappelé quelque détail anecdotique relatif à sa première rencontre avec la célèbre et néanmoins singulière visiteuse, dans une chambre d''hôtel alors que cette dernière apportait les derniers soins à sa tenue vestimentaire. «elle avait déjà revêtu une longue robe mauve qui la couvrait des pieds à la tête, mais 'en avait pas encore fermé les boutons, aussi nombreux que ceux d'une soutane. «ne voudriez-vous pas me boutonner, demanda-t-elle à brûle-pourpoint. ni grace ni moi-même ne sommes très alertes». et les auteurs du résumé de ce rapport fait par eeckhout d'ajouter : «aussitôt dit, aussitôt fait. debout, d'abord ; à genoux ensuite, tel aux pieds d'un évêque»1. cette femme qui 'hésite pas à demander une aide de cet ordre d'un étranger, exigeant de lui une telle posture répond assurément à l'idée habituelle et ordinaire que l'on se fait d'une personne orgueilleuse jusqu'à en être narcissique. on connaît par ailleurs, sa fameuse déclaration : «je me souviens qu'à l'âge de huit ans, ... je me regardais dans la glace et je me disais : «voilà, je suis, je suis importante, ces gens-là ne s'en doutent pas. ... une vague idée de la gloire ... comme au xviième siècle. mais je ne m'imaginais pas du tout ce que cela pouvait bien être, ni par quels moyens je l'obtiendrais cette «gloire»2. est-ce cette même attitude nombriliste que l'on retrouve dans la trilogie du labyrinthe du monde, objet de la présente étude ? a la base de la part autobiographique de l'ensemble des trois ouvrages -souvenirs pieux, archives du nord et quoi ? l'eternité- y aurait-il simplement, comme cela se produit souvent dans les écrits de ce genre, l'expression de sentiments de supériorité et de suffisance, soit, en l'occurrence, un prétexte à peine déguisé pour afficher, voire ressasser, les origines aristocratiques des deux branches familiales auxquelles l'écrivaine se rattache par sa naissance, les de quartier et les cleenewerck de crayencour ?